La Fabrique du mensonge by Stéphane Foucart

Auteur:Stéphane Foucart [Foucart, Stéphane]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Écologie, Environnement
ISBN: 9782070456857
Éditeur: Gallimard
Publié: 2014-03-21T04:00:00+00:00

Chapitre IV

LE « MYSTÈRE » DE LA RUCHE VIDE

LES ABEILLES ET LES INSECTICIDES

Il y a fort à parier que, dans quelques décennies, les historiens des sciences se régaleront de cette histoire d’abeilles qui disparaissent mystérieusement. Rappelons pourquoi la question est d’importance. Les abeilles domestiques (Apis mellifera) ne produisent pas seulement du miel : elles participent à la pollinisation d’un grand nombre de végétaux, dont la plupart sont très utiles à l’homme, puisqu’ils le nourrissent. Les milliers d’espèces d’apidés (abeilles domestiques, abeilles solitaires, bourdons, etc.) forment le groupe de pollinisateurs le plus important. Plus du tiers des cultures mondiales (en volume) dépendent directement des services de pollinisation assurés par ces insectes, ce que des chercheurs français se sont essayés à chiffrer : cela représente un service rendu à l’économie mondiale estimé à quelque 153 milliards d’euros annuels1. En Europe, les estimations courantes sont que 80 % environ des cultures et de la végétation sauvage dépendent de l’activité de ces insectes.

Le déclin des insectes pollinisateurs sauvages est très difficile à mesurer, aussi celui de l’espèce domestique qui leur est proche — bien mieux connue — est-il un indice précieux. Puisque les apiculteurs voient leurs colonies s’effondrer depuis deux décennies environ, nous savons que les cousins sauvages de mellifera ne se portent pas bien non plus. Voire qu’ils se portent plus mal encore, car certains travaux indiquent que leur susceptibilité aux activités humaines pourrait être plus grande que ce que l’on imaginait. Il suffit d’ailleurs d’observer l’étage supérieur de la chaîne alimentaire — dont l’état peut être plus facilement évalué — pour prendre conscience de l’étendue du désastre. Selon un programme de suivi des oiseaux communs (le Pan-European Common Birds Monitoring Scheme), financé par la Commission européenne, environ trois cents millions d’oiseaux des champs ont disparu entre 1980 et 2010. Sur le territoire de l’Union, les populations des trente-sept espèces de ces oiseaux (moineau friquet, alouette des champs, linotte mélodieuse, pipit farlouse, bruant jaune, etc.) ont décliné en moyenne de 52 % en trois décennies. Cela, en raison notamment de la réduction des populations d’insectes dont ils se nourrissent et dont l’effondrement des abeilles est la part la plus visible et la plus médiatique.

Pourquoi cette disparition progressive et angoissante ? Nous avons collectivement construit l’idée que derrière ce déclin se cache un mystère. L’abeille et sa destinée semblent être irrémédiablement liées à cette énigme et rien ne paraît pouvoir donner une explication globale à ce phénomène. Une recherche sur Google montre que le terme « abeilles » renvoie à sept millions et demi de pages Web ; la même requête adressée au même moteur de recherche lorsque le terme « mystère » y est ajouté donne un résultat de près d’un million et demi de pages. La force de l’association est considérable : grâce à Google, ce thermomètre qui plonge au cœur de notre « cerveau collectif » en sondant les conversations et les débats qui agitent Internet, on sait que 20 % des pages qui parlent d’abeilles mentionnent ce prétendu mystère tenace.

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